L'alternance n'a pas fait que des heureux au Sénégal. De riches hommes d'affaires sénégalais sont passés de patrons prospères à de pauvres sénégalais sans le sou. Parmi ce lot trois anciens
capitaines d'industries : Ibrahima Macodou Fall, Cheikh Tall Dioum et Bara Tall. Le moins célèbre d'entre eux, Macodou Fall était florissant avant l'alternance. Revenu d'Europe après une longue
et riche carrière à Matra en France, il reprenait la défunte Sts dans la cité du rail. «Il avait déjà travaillé dans cette usine en tant qu'étudiant, revenu d'Europe ça lui a fait mal de trouver
une infrastructure en ruine », indique un de ses proches. Rapidement, il dégage quelques centaines de millions et redémarre aux débuts des années 90, l'usine qui trône à l'entrée de Thiès.
«L'usine avait bien démarré », lâche cet ancien employé. Puis, quelques années, plus tard, Fall comme on l'appelle ici, aidé par les autorités de l'époque, en tête le président Abdou Diouf
et son premier ministre Habib Thiam, lance une seconde usine la FTT (Filature Textile de Thiès). Le président Diouf se déplace même en 1996 sur les lieux pour l'inaugurer. L'usine travaille et
emploie près de 1000 personnes en emplois directes et indirectes. «Fall versait sur la place de Thiès jusqu'à 100 millions de masse salariale tous les mois sans compter les petits fournisseurs
qu'il faisait travailler », poursuit notre interlocuteur. N'empêche, le front social est parfois tendu avec les travailleurs. Certains sortent souvent dans la rue pour réclamer des droits.
Une partie des problèmes est réglée. Macodou Fall se développe à Louga et Kaolack. Il s'endette auprès du FPE et donne 1, 6 milliard à l'Etat pour la Sotexka. Quand survient l'alternance, le
nouveau régime se braque contre lui. Un ancien premier ministre convoque une réunion dans son bureau tous les services de renseignements du pays. Fall est attrait ans le secret le plus total à la
Division des investigations criminelles. Finalement de fil en aiguille, le président Wade fini par l'adopter. «Quand les enquêtes ont montré qu'il est exempt de tout reproche, Wade l'invite lors
d'un de ses voyages. On pensait que c'était fini... », précise son proche. Mais en 2006, les problèmes recommencent. Le Fpe se réveille un bon matin pour lui réclamer quelques 7 milliards de
francs CFA. «En fait Fall n'a jamais emprunté au FPE, c'était les banques qui lui avaient prêtées. Ces dernières n'ont jamais réclamé un sou à Fall. Pour l'atteindre le Fpe qui avait garantie le
prêt a demandé aux banques de le laisser poursuivre Fall. C'est comme ça que le Fpe s'est retrouvé en face de lui ». Puis survient l'épisode du tribunal régional de Thiès. Par jugement
encore dénoncé aujourd'hui, le tribunal de Thiès vend l'usine au FPE qui le poursuit. 18 hectares de titre focncier d'une valeur de 5 milliards à l'entrée de Thiès ainsi que du matériel d'une
valeur de 3 à 4 milliards sont rachetés par le créancier qu'est le FPE pour une somme symbolique de 2 milliards. Fall se bat et obtient une ordonnance qui annule la vente. Mais l'Etat revient à
la charge par une nouvelle ordonnance. Depuis, le dossier et bloqué et entre temps la notaire Ndèye Sourang Ndir, ancienne épouse de Pape Diop aujourd'hui décédée s'était empressée de muter le
titre foncier au nom de l'Etat.
Le parfait amour avec Karim
Depuis cet épisode du tribunal de Thiès rien ne va plus pour l'industriel. Ousmane Ngom lui reprend de manière forte la Sotexka pour y installer son ami Jean Marc Secondi. Et voilà Fall celui qui
pesait pas moins de 15 à 20 milliards de chiffre d'affaires annuellemnt employant près de 2000 personnes dans ses trois usines de Thiès se retrouve dans une situation peu enviable. Il met son
personnel au chômage et quitte ses luxueux bureaux du centre ville à l'immeuble SIDH pour se retrouver dans des locaux plus modestes au Point E en face justement du siège presque désert de Bara
Tall. L'homme rêvait en grand au point de metre en place les plus beaux bureaux dans ce quartier résidentiel. Ce sénégalais qui a racheté Jean Lefebvre Sénégal en 1998 alors que la maison battait
dangereusement de l'aile pour la somme de 4 milliards de francs CFA est aujourd'hui est homme qui a le coeur gros. A la fin du régime de Diouf s'était un chef d'entreprise épanouit. Il était de
toutes de tous les voyages du président Diouf. En 1998, il avait tellement d'argent qu'il se permit de mettre presque une centaine de millions dans le journal Le Matin que Baba Tandian lançait
sous l'impulsion de son ami Pape Samba Kâne. «Bara était connu pour son sérieux. Mimran avait demandé à ce que la CBAO lui prête la somme de 4 milliards pour racheter Jean Lefebvre. Il a
tellement bien travaillé qu'il a réussi à rembourser la dite somme avant même l'écheance de la dette », dit un de ses proches.
Tanor Dieng à Bara Tall : « Tu es mon ami... »
Il est à tu et à toi avec Ousmane Tanor Dieng. Ce dernier lui temoignera publiquement de son amitié à Thiès à l'occasion d'une manifestation. «Bara Tall est mon ami. Si quelqu'un le touche, c'est
à moi qu'il touche », disait alors le tout puissant premier secrétaire du Parti socialiste également à l'époque très redouté directeur de cabinet et ministre des affaires présidentielles
sous Diouf. L'alternance survient, Bara qui avait quelques amitiés avec les libéraux parvient à bien s'intégrer dans le nouveau dispositif des bleus. «Il a été introduit auprès du président Wade
par Idrissa Seck en personne. Finalement, Bara sera beaucoup plus prcohe du président Wade que de Seck », indique un de ses proches. Son chiffre d'affaires passe d'une dizaine de milliards à
presque 50 milliards. «Les libéraux lui ont fait tellement gagné de l'argent que Bara était ravi du régime de Wade ». Sa maison à Fann Résidence ne désemplit pas. Karim, Sindéjly et les
proches du président de la République sont souvent les invités de la table familiale. C'est la belle entente. Il est un confident de Karim et ont un ami commun, Abbas Jaber, l'acteul patron de la
Suneor. Les chantiers de Thiès arrivent. Bara met son argent pour débuter les travaux. Idrissa Seck le nomme officieusement « coordonnateur des travaux ». Régulièrement il voit Seck et
lui rend compte. Puis survient l'épisode des Chantiers de Thiès. Son emprisonnement. « Bara n'a jamais voulu impliquer Idrissa. D'ailleurs, il s'est bien engueulé avec un puissant ministre
de la justice à l'époque pour lui dire qu'il ne cautionnera jamais l'arrestation de Idrissa », renseiggne son proche. Depuis cette date, les problèmes se succédent contre Tall. Son
emprisonnement à Reubeuss. Puis, sa mise à l'écart de tous les marchés publics au Sénégal. De presque 40 milliards de chiffre d'affaires, il passe à 0 au Sénégal. Il essaie tant bien que mal à se
redeployer à l'étranger. «Il a certes des contacts à l'étranger, mais ces affaires n'y marchent pas trop », dit un de ses anciens cadres. Résultat : Plus de 3000 employés sont passés au
chômage. «Il a construit de beaux bureaux au Point E, mais c'est désert ». Cependenat l'homme garde le moral et se bat.
Cheikh Tall Dioum, ce génie...
Il a refait la paix entre temps avec un des autres frères qui traverse également une impasse. Cheikh Tall Dioum. Lui aussi était riche et a gardé depuis les années 90 sous les socialiste le
surnom de Golden Boy. Il avait bénéficié de prêts du FPE sous Habib Thiam. «Cheikh Tall Dioum, c'est le premier qui a eu l'idée de génie de faire de la presse à 100 francs. A l'époque alors qu'il
était administrateur au groupe Com 7, il confia à Thierno Talla Le Populaire en lui demandant de faire un journal comme Le Témoin mais qui devra paraître tous les jours », dit un ex-employé
du groupe Com 7. Ses problèmes ont commencé quand il a tenu tête à un proche de Wade pour la vente du groupe Com 7. Pour une banale histoire de fraude sur le sucre, il sera jeté en pature et mis
en prison. Depuis cette épisode malheureuse, ses affaires battront dangereusement de l'aile. Il finira par céder son affaire, Lisa, cette boisson sucrée et célèbre des années 90, à un proche du
président de la République, Pierre Aim, qui en a fait depuis American Cola.
Connu pour sa générosité, Cheikh Tall Dioum s'est depuis retrouvé presque sans le sou. Il vit de quelques rentes immobilières mais essaie de rebondir. «Même si ce n'est pas facile », admet
un des proches.
Cheikh Tall Dioum, de même que Bara Tall ou encore Ibrahima Macodou Fall partagent le même destin : celui des victimes économiques de l'alternance. Ils ont été souvent de valeureux hommes
d'affaires qui n'ont pas hérité de fortune familiale. «Ce sont des self-made-man, mais le régime actuel les a détruit », analyse un homme d'affaire qui a bien connu le trio. « C'est
triste ce qui leur arrive », lâche ce dernier.
El Malick SECK